Quels sont les facteurs responsables du syndrome d’effondrement des populations d’abeilles domestiques ?

Le « syndrome d’effondrement des colonies » éradique les populations d’abeilles domestiques dans les pays développés depuis le milieu des années 1990. La mortalité annuelle était habituellement de 5 à 10 %, elle peut désormais atteindre 90 % dans certaines situations.

« Ces vingt dernières années, la production de miel dans l’Hexagone a été divisée par deux » selon Vincent Bretagnolle, écologue au Centre d’études biologiques de Chizé.

Si les abeilles produisent du miel, elles fournissent aussi un service écosystémique indispensable à la pérennité des écosystèmes naturels et anthropisés : la pollinisation. Environ un tiers de l’alimentation mondiale dépendrait de cette pollinisation.

Un débat controversé sur les causes de déclin des populations d’abeilles

Le phénomène épidémique qui décime les colonies d’abeilles fait l’objet de nombreuses études scientifiques et de polémiques médiatiques depuis une trentaine d’années. Les groupements d’apiculteurs reconnaissent le rôle des pathologies, mais incriminent les pratiques agricoles, l’autre bord renvoyant la faute sur celles des apiculteurs. Sollicitée par ces deux parties, la communauté scientifique peine à établir une hiérarchie parmi les causes.

Depuis les années 2000, un consensus a émergé : le phénomène est multifactoriel. Une seule et unique cause du déclin des abeilles, n’est pas une hypothèse validée par la communauté scientifique. L’effondrement des populations d’abeilles semble être le fruit d’interactions complexes de plusieurs facteurs que l’on peut regrouper en trois catégories :

  • Ravageurs et pathogènes
  • Stress environnementaux
  • Manque de diversité génétique

Les facteurs d’effondrement des populations d’abeilles mis en cause

  • De nombreux ravageurs et pathogènes particulièrement virulents sont apparus par le biais du changement climatique et par l’internationalisation des échanges commerciaux.
    • Un acarien : Varroa destructor
      • Il pique les abeilles et pompe leur hémolymphe
      • Il transmet aussi des virus comme : CBPV Chronoc Bee Paralysis Virus ou virus de la paralysie chronique
      • Des champignons microscopiques ou microsporides comme Nosema ceranae et Nosema apis induisent la nosémose, une maladie affectant le tube digestif et entraînant des diarrhées aiguës.
    • Des bactéries responsables de la loque européenne et américaine (Paenibacillus larvae). Paenibacillus larvae contamine les larves avant de les détruire.
    • Un champignon responsable du couvain plâtré : Ascosphaera apis momifie les larves.
    • Le frelon asiatique : Vespa velutina nigrithorax déclaré espèce exotique nuisible, car il se nourrit d’abeilles.
a) Varroa destructor (ici en rouge) sur une abeille (© M MOFFETT, MINDEN PICTURES BIOSPHOTO), b) Vespa velutina dévorant une abeille (© P.Falatico)
a) Varroa destructor (ici en rouge) sur une abeille (© M MOFFETT, MINDEN PICTURES BIOSPHOTO), b) Vespa velutina dévorant une abeille (© P.Falatico)
  • Les ruchers sont dorénavant sujets à de nombreux stress environnementaux
  • Les pratiques de l’agriculture intensive
    • La spécialisation des zones agricoles entraîne l’uniformisation des ressources
    • La raréfaction des haies champêtres et des fleurs des champs
    • Des rotations agricoles très simplifiées
    • Des champs encore parfois laissés nus en hiver
    • Des paysages agricoles simplifiés et homogénéisés : baisse du nombre des exploitations agricoles et agrandissement des parcelles agricoles, raréfaction des prairies et diminution de la biodiversité cultivée
    • L’usage des produits : herbicides, insecticides, fongicides
      • Impacte le système immunitaire
      • Cause la désorientation

La diminution de la quantité et de la qualité de l’alimentation disponible pour les abeilles a un impact significatif (ANSES, 2015) sur leur santé et sur leur résistance aux contraintes de l’environnement. Cette situation induit des phénomènes de concurrences avec les abeilles sauvages ainsi qu’entre les ruchers.

  • Les pratiques de l’apiculture :
    • Certaines campagnes n’offrent plus les ressources nécessaires pour alimenter les abeilles toute l’année. Les apiculteurs sont donc obligés de faire transhumer leurs ruchers sur de longues distances ce qui favorise la propagation de maladies
    • L’utilisation de produits « maison » pour lutter contre Varroa
  • Les reines importées d’Italie, de Grèce ou du Caucase ne sont adaptées ni à la flore ni aux périodes de floraison ni aux climats. Nous assistons à un affaiblissement génétique au détriment des abeilles autochtones.

L’aggravation des effets de ces facteurs par synergie

Il est d’autant plus difficile d’identifier un facteur primordial qu’il existe des effets de synergie. Une étude de l’INRA publiée en 2016 met en évidence, aussi bien au laboratoire qu’au champ, un effet significatif de l’exposition soit à un pesticide (l’imidaclopride), soit à un champignon (Nosema ceranae) sur la mortalité des reines. Mais l’effet est encore plus important quand les reines sont exposées en même temps au pesticide et à l’agent pathogène. Bien qu’une initiation d’un mécanisme de défense ait été détectée chez les reines, celui-ci n’a pas été suffisamment efficace pour éviter leur mort prématurée. Les phénomènes de synergies semblent donc démultiplier l’impact déjà néfaste des facteurs agissant isolément.

La panoplie des synergies possibles rend l’analyse d’autant plus difficile :

  • Synergie inter-groupes : des abeilles infectées par Nosema ceranae et exposées à des doses pourtant non létales d’insecticides verraient leur mortalité multipliée par deux.
  • Synergie intra-groupes : dès 2013, des interactions synergiques ont été mises en évidence entre différents composés chimiques (acaricides, fongicides et insecticides) utilisés en apiculture.
Différents types d’effets synergiques entre les groupes de facteurs impliqués dans le syndrome d'effondrement des colonies (Potts et al., 2010).
Différents types d’effets synergiques entre les groupes de facteurs impliqués dans le syndrome d'effondrement des colonies (Potts et al., 2010).

Parmi les néonicotinoïdes : l’imidaclopride

L’imidaclopride est l’insecticide le plus étudié de sa famille, l’un des plus vendus et en ce sens il représente l’archétype des néonicotinoïdes. Ses effets mis en évidence sont transposables aux autres néonicotinoïdes (ANSES, 2015).

Les néonicotinoïdes sont une famille de composés dits systémiques. Cela signifie qu’ils se retrouvent dans tous les organes de la plante traitée quel que soit le mode d’utilisation : pulvérisation ou enrobage des graines. L’imidaclopride est un neurotoxique puissant qui se retrouve aussi bien dans le pollen que dans le nectar.

À haute dose, ils provoquent la mort des abeilles. À plus faibles doses, dites sublétales, ils perturbent les capacités cognitives des butineuses qui ne retrouvent ni le chemin de la ruche ni les sources de nourritures nécessaires à leur vie. D’autre part, ces insecticides neurotoxiques sont fortement rémanents dans les milieux : sols, eaux et plantes.

En 2013, ces produits ont été interdits sur 4 cultures visitées par les abeilles : colza, tournesol, maïs et coton. Le problème de l’imidaclopride est qu’il se transmet d’une année sur l’autre par rémanence. En effet, ce produit a été détecté dans du nectar et du pollen de colza cultivé après un blé traité à l’imidaclopride.

Le programme Ecotox : un premier bilan

En novembre 2017 est sorti le bilan de la première étude officielle de contamination des ruchers en France par des xénobiotiques. La puissance statistique de cette étude n’a pas permis de mettre en évidence un lien entre l’exposition à des xénobiotiques et la mortalité dans les ruchers. Par contre, elle a permis de mieux décrire la liste des pesticides auxquels sont exposés les ruchers. Dans 92 échantillons de pain d’abeilles et 94 échantillons de miels, la présence de 65 molécules xénobiotiques prioritaires (c’est-à-dire des substances ayant fait l’objet d’une interdiction récente, portant la « mention abeilles » ou encore des substances acaricides à usage apicole) ont été examinées. L’absence totale des substances recherchées ne concerne que 13% des échantillons de miel et seulement 5% des échantillons de pain d’abeilles. L’ensemble des autres échantillons témoignent de la présence de une à six substances chimiques.

Même si le lien entre mortalité et exposition à des pesticides n’a pu être mis en évidence, la majorité des ruchers échantillonnés sont contaminés par au moins une molécule chimique.

Conclusion

La recherche scientifique s’accorde à dire que le syndrome d’effondrement des populations d’abeilles domestiques est induit par plusieurs facteurs susceptibles d’interagir entre eux.

Les jardins des amateurs ont un rôle particulièrement important à jouer à travers tout le territoire dans le maintien d’un maillage floral pérenne permettant de fournir des ressources diversifiées nécessaires aux butineuses.

Des plantes apicoles à favoriser en espaces verts (© Jérôme Julien, Le lien horticole, N°1003, 15 février 2017).
Des plantes apicoles à favoriser en espaces verts (© Jérôme Julien, Le lien horticole, N°1003, 15 février 2017).