Innovation, méthodes alternatives et complémentaires : quelles pistes dans un avenir proche pour protéger les cultures des insectes ravageurs ?
Parmi les organismes vivants compétiteurs des cultures, les insectes représentent la deuxième cause de perte de récolte au niveau mondial. Leurs dommages sont constatés tout au long des filières de production : à la récolte, lors du transport, du stockage, de la transformation, sur l’étalage et finalement, à la maison. Protéger les récoltes, cela signifie faire face à la fois à des ravageurs indigènes à nos régions (ex : altise), à de nouvelles espèces envahissantes (ex : mineuse sud-américaine Tuta absoluta), sans oublier des ravageurs devenus résistants à des solutions chimiques ou biologiques mises en œuvre sans méthode, des espèces re-émergentes (ex : vers blancs) ou celles qui, considérées dans un passé récent comme secondaires sont susceptibles de causer des dégâts importants.
Dans ce contexte si évolutif, les interrogations des conseillers et des cultivateurs portent d’abord sur l’existence de solutions nouvelles pour la lutte directe. Cependant, l’adoption croissante des principes de la protection intégrée par ces mêmes acteurs les amène à reconsidérer le potentiel des mesures de protection indirecte, souvent appelées « alternatives », méconnues, ignorées ou parfois abandonnées depuis des décennies pour des considérations d’économie ou en raison d’une efficacité jugée insuffisante. La protection contre les ravageurs connait donc de profonds changements qui augurent d’une transformation profonde des méthodes de lutte utilisables. Si cette transformation repose sur des producteurs motivés appuyés par les chercheurs et les pouvoirs publics, la surveillance des bioagresseurs présents sur le territoire demeure primordiale pour que cette protection soit véritablement efficace.
En matière de lutte directe, on constate que la quantité globale des insecticides et acaricides employés en agriculture n’a cessé de baisser au cours des 20 dernières années. Actuellement, ils ne représentent que 2% environ du tonnage des substances phytopharmaceutiques utilisées dans notre pays. Ces quantités sont vraisemblablement les plus basses utilisées par l’agriculture française au cours des cinquante dernières années. D’autre part, la nature des substances employées a évolué à marche forcée. Retraits massifs suite à la révision européenne des substances actives, flux d’innovation des produits de synthèse, développement de la chimie imitative et arrivée sur le marché de nouveaux insecticides biologiques conduisent à diversifier la pharmacopée avec une amélioration réelle du profil environnemental et des caractéristiques toxicologiques des spécialités. En matière de toxicité aiguë par exemple, plus de 60% des insecticides actuellement autorisés ont une dose létale 50 voisine ou supérieure à celle de l’aspirine, évolution qui ramène cette catégorie de produits à un niveau qui n’a jamais été plus favorable depuis 1920. Cependant, la lutte directe repose encore sur un nombre limité de modes d’action qu’il faudra gérer avec sagesse pour éviter la multiplication des résistances.
Par ailleurs, on constate que la vulgarisation des phéromones de synthèse a encouragé l’expansion de la confusion sexuelle dans les vignes et les vergers, ainsi que le renouveau du piégeage de masse sous abri. Pour ces dernières cultures, l’emploi d’insectes et d’acariens auxiliaires en lâcher inondatif est devenu ordinaire. En plein air, hormis l’emploi de guêpes parasitoïde (trichogrammes) contre la pyrale du maïs, cette technique demeure encore marginale, en particulier pour lutter contre des ravageurs indigènes. Il existe aussi un renouveau d’intérêt pour les méthodes physiques de protection (filets, utilisation de la chaleur ou du froid….), en particulier dans les serres, pour certaines cultures spécialisées et le stockage des grains.
En ce qui concerne les mesures de lutte indirecte contre les ravageurs, des évolutions intéressantes sont à souligner. En particulier au travers d’un renouveau de l’attention des professionnels agricoles pour gérer les nuisibles en s’appuyant sur des domaines tels que :
– les rotations, la longueur du cycle des cultures et l’assolement ;
– le choix de variétés moins sensibles à l’action des ravageurs ;
– l’importance du paysage agricole pour favoriser les auxiliaires ;
– les plantes-pièges avec des interrogations sur la possibilité de les utiliser dans l’interculture.
Ces derniers domaines réclameront toutefois de nombreux travaux avant d’être opérationnels pour un large éventail de cultures et de bioagresseurs.
Jean-Louis Bernard – Académie d’Agriculture de France (AAF)