Connaissez-vous cette curieuse pratique qui consiste à utiliser des coquilles d’œufs pour soigner les plantes? Sur les forums, on trouve de nombreuses variantes. Étudions les deux plus répandues.
Les coquilles d’œufs et la cloque du pêcher
« Suspendues aux branches dans un filet à oignon, les coquilles d’œufs sont radicales contre la cloque du pêcher. »
Pas le moindre commencement d’explication, tout au plus quelques esprits chagrins évoquent-ils un hypothétique effet placebo.
Et si c’était l’absence même d’explication qui conférait toute sa force à la recette? Les ouvrages de magie et de sorcellerie ne regorgent-ils pas de références à l’œuf: l’œuf philosophal, l’œuf primordial, la recette de l’omelette aux fines herbes, le maléfice des trois œufs pour préserver des nuisibles son jardin… Certains ovo-spécialistes ayant pignon sur le web promettent même de libérer l’onde de forme de l’œuf, véritable catalyseur psychique, pour stimuler votre libido. Plus fort encore, il existerait une formule très secrète, très puissante et très difficile à maîtriser. C’est à peine si j’ose vous la dévoiler: il faut de la rosée, une épine blanche d’aubépine (tiens, une synecdoque dans le pléonasme?) et un fragment de coquille d’œuf (attention: de coq!), le tout exposé aux rayons du soleil.
Je donne un conseil aux lecteurs : si vous trouvez un œuf de coq, employez-le ainsi, c’est toujours mieux que de le laisser sur son tas de fumier, car si un crapaud venait à le couver, alors naîtrait un basilic au regard qui tue. Et là, ça craindrait vraiment.
Les coquilles d’œufs et les piérides
Passons à l’autre usage, tout aussi intéressant. Il s’agit de poser des demi-coquilles d’œuf sur des bâtons dans un carré de choux pour les protéger des attaques des chenilles de piérides.
Deux explications sont proposées: la première fait appel à l’instinct de ces papillons blancs. Ils confondraient les coquilles avec leurs congénères. Découragés par tant de concurrence, de bien mauvais augure pour la pitance de leur descendance, ils s’en iraient pondre ailleurs, en des lieux moins courus. La logique aurait voulu que l’on employât des œufs blancs, et que les papillons fussent myopes, et capables de raisonnement, ce qui n’est pas sûr.
C’est le grand Jean-Henri Fabre qui nous livre la deuxième explication dans ces Souvenirs entomologiques :
« Au temps de Pline, le grand naturaliste latin, on dressait un pal au milieu du carré de choux à protéger, et sur ce pal on disposait un crâne de cheval blanchi au soleil; un crâne de jument convenait mieux encore. Pareil épouvantail était censé tenir au large la dévorante engeance.
Ma confiance est très médiocre en ce préservatif; si je le mentionne, c’est qu’il me rappelle une pratique usitée de notre temps, du moins dans mon voisinage. Rien n’est vivace comme l’absurde. La tradition a conservé, en le simplifiant, l’antique appareil protecteur dont parle Pline. Au crâne de cheval on a substitué la coquille d’un œuf dont on coiffe une baguette dressée parmi les choux. C’est d’installation plus facile; c’est aussi d’efficacité équivalente, c’est-à-dire que cela n’aboutit absolument à rien.
Avec un peu de crédulité tout s’explique, même l’insensé. Si j’interroge les paysans, nos voisins, ils me disent : l’effet de la coquille d’oeuf est des plus simples; attirés par l’éclatante blancheur de l’objet, les papillons viennent y pondre. Grillés par le soleil et manquant de nourriture sur cet ingrat appui, les petites chenilles périssent, et c’est autant de moins.
J’insiste, je demande si jamais ils ont vu des plaques d’œufs ou des amas de jeunes chenilles sur ces blanches coques.
« Jamais, répondent-ils unanimement.
— Et alors?
— Cela se faisait ainsi autrefois, et nous continuons de le faire sans autre information. »
Je m’en tiens à cette réponse, persuadé que le souvenir du crâne de cheval en usage autrefois est indéracinable comme le sont les absurdités rurales implantées par les siècles. »
Voilà qui est bien senti.
Notons au passage que la traduction de Littré, qui fait référence, évoque non pas un crâne de jument mais un crin! Cela change tout, me direz-vous. Mais reportons-nous aux sources: Pline l’Ancien, in Naturalis historia XIX, LVIII: « si palo inponantur in hortis ossa capitis ex equino genere, feminae dumtaxat. » J’ai toujours été nul en latin, mais je penche tout de même pour les os de la tête.
Surprise: la suite du texte nous apprend que pour protéger son jardin, il suffit d’y suspendre des… écrevisses. Lançons la mode!
Sources:
Jean-Henri FABRE, Souvenirs entomologiques (Dixième série.) Etudes sur l’instinct et les mœurs des insectes. Edition définitive illustrée, [s.l.] : [s.n.], 1924. URL: http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k63593501. Consulté le 14 novembre 2013, p.410
The Elder PLINY et H. (Harris) RACKHAM, Natural history, [s.l.] : London : W. Heinemann, 1938, URL: http://archive.org/details/naturalhistory05plinuoft. Consulté le 14 novembre 2013, p.534
Gilles Carcassès – Communauté d’agglomération de Cergy-Pontoise
Bravo, analyses intéressantes … et drôle
en tout cas, tous les ans je mets des coquilles d’oeuf sur mes pêchers et …
ils n’ont pas la cloque! … ou vraiment très peu !!! …
L’effet placébo sur les plantes, pourquoi pas, cela veut dire que les plantes pensent,
n’est-ce- pas?
Cette idée me plaît.
La cloque du pêcher et le pouvoir insoupçonné des coquilles d’oeufs vidés de leurs contenus direz-vous. Quels seraient les raisons de leurs efficacités contre le champignon nuisible ? Les poussières répulsives dégagées des parois des coquilles en décomposition ? Me semblent une des explications possibles ?