L’inquiétude sur l’insuffisance des surfaces cultivées en France et dans le monde pour assurer la sécurité alimentaire est relativement récente.
En effet, la première révolution verte initiée dans les années 1960 a permis de tripler la production alimentaire mondiale tout en augmentant de façon modérée les surfaces cultivées : celles-ci sont passées entre 1960 et 2010 de 1380 Mha à 1550 Mha, principalement par accroissement des surfaces irriguées. En 50 ans, la superficie des terres cultivées est ainsi passée de 0,45 à 0,23 ha par personne grâce notamment à un accroissement des rendements par unité de surface. Les surfaces cultivées sont donc longtemps apparues non limitantes, d’autant qu’on évaluait à environ 1300 Mha la réserve de terres potentiellement cultivables, susceptibles d’être mobilisées pour accroître la production agricole.
Cette vision a évolué au cours des dernières années pour quatre groupes de raisons : (i) d’une part, le plafonnement des rendements, observé depuis une dizaine d’années pour un grand nombre de cultures, ne semble plus permettre l’accroissement de production nécessaire pour nourrir une population mondiale de l’ordre de 9 milliards d’habitants en 2050, sans accroître significativement les surfaces ; (ii) de plus, une part croissante des productions agricoles est destinée à des usages non alimentaires (cultures énergétiques, biocarburants, textiles) ce qui renforce la pression sur les surfaces cultivées ; (iii) par ailleurs, le modèle d’intensification agricole développé à partir des années 60 a généré des impacts environnementaux sur la biodiversité, l’eau, l’air, mais aussi sur les sols : la FAO considère que 40 % des surfaces actuellement cultivées sont soumis à des processus de dégradation ; (iv) enfin, les réserves pressenties de terres cultivables ne pourraient être mobilisées sans impact important sur la biodiversité, les émissions de gaz à effet de serre, etc. L’urgence de porter une attention accrue à la question de la disponibilité des terres cultivées s’est donc imposée à l’échelle mondiale et les Nations Unies ont fixé en 2012, lors de la conférence de RIO+20, un objectif d’arrêt de la dégradation nette des terres.
L’objectif de l’intervention est d’analyser au cours des dernières décennies l’évolution des terres cultivées aux échelles mondiale et française. En comparant les ensembles continentaux, l’accent sera mis sur l’état de dégradation des surfaces cultivées actuelles et les réserves de terre cultivables. Il en ressort clairement une situation très tendue dans des régions du monde en forte expansion démographique, ce qui renforce la rivalité sur la ressource en sol et les transactions foncières internationales. A l’échelle française, l’évolution des surfaces cultivées sera d’abord analysée sur le temps long, qui montre une régression de ces surfaces, généralement les terres les moins productives, au profit des surfaces boisées et naturelles. L’artificialisation croissante des surfaces cultivées est une autre tendance forte de ces dernières décennies, dont l’importance reste mal estimée avec des évaluations de surface concernée fort différentes selon les sources d’information.
Finalement, la vision d’une ressource en sol cultivé non limitante doit être définitivement abandonnée que ce soit à l’échelle globale ou à l’échelle française. L’enjeu est bien de définir les termes d’une gestion durable des sols cultivés qui intègre leur rôle multifonctionnel et préserve les besoins des générations futures.
Pr. Christian Walter
UMR 1069 SAS Agrocampus Ouest-INRA Rennes – Membre correspondant de l’Académie d’Agriculture
christian.walter@agrocampus-ouest.fr