Portrait de jardinier
Un beau jour de décembre 2013… Branle-bas de combat, et arrivée sur une parcelle associative Jardinot de 550 m2, nichée entre voie ferrée, centre de transfert des déchets urbains, et zone d’activités, sur une colline des quartiers Nord de Marseille, avec au loin l’image de Notre Dame de la Garde encadrée par les deux gratte-ciels de la Joliette.
Leur vision du jardin
Ici, la terre demande de l’énergie : en plein soleil, battue par les vents, la mince couche de terre argileuse recouvre des déblais du percement de la ligne TGV, déposés là il y a de nombreuses années. La question s’est posée : utiliser le motoculteur pour reprendre le pas sur le chiendent et la chicorée sauvage, au risque d’abimer encore un peu plus le peu de vie qui avait résisté ? Ou privilégier le hors-sol, avec un système de lasagnes et de nutriments importés ? C’est cette dernière solution qui a été retenue, associée à un cortège d’autre réalisations visant à instaurer un équilibre interne naturel dans le Jardin.
Au tout début, nous avons dessiné l’emplacement des premières plates-bandes. Vues du ciel, nous souhaitions voir la forme de « marguerites » avec un cœur central et 6 plates-bandes pétales. A l’intérieur des lasagnes, tous les matériaux nutritifs récupérés dans le quartier : légumes et fruits pourris tout droit venus des épiceries environnantes, mais aussi paille, feuilles mortes, cartons, compost industriel, fumier du centre équestre…
Puis, priorité donnée à la plantation des haies fruitières, destinées à tamiser le vent et à offrir un refuge pour les insectes et les petits animaux. Aujourd’hui, arbousier, cerisiers, avocatier, cognassier, goyavier, ragouminier, amélanchiers, oliviers, figuiers, prunellier, cornouiller, et autres pommiers, poiriers, pruniers, pêchers, abricotiers… se sont bien implantés et commencent à se déployer.
Dès que le rythme des plantations annuelles a été lancé, avec rotations, mixité et biodiversité dans chaque lasagne, Patrick s’est mis au bassin : pente d’écoulement, rigoles de récupération, panneau solaire… tout y est ! Ainsi que 40 ravissants poissons rouges qui viennent voir le monde par en bas. Et un cortège d’oiseaux, d’hérissons… qui viennent s’y abreuver bien sûr.
Le jardin en pratique
Les scandales alimentaires à répétition nous avaient glacés, et nous avions décidé de cultiver notre propre Jardin familial, sans aucun produit phytosanitaire et sans engrais chimiques. Aussitôt dit, presque aussitôt fait. Tout est organisé pour que les alliés naturels s’occupent au mieux des éventuelles pullulations : ils trouvent abris, et nourriture au Jardin. Les premières années, nous avons connu quelques ravageurs, notamment des piérides, escargots et punaises ornées du potager.
Pour les deux premières espèces tout s’est réglé en douceur avec les prédateurs naturels (micro-guêpe parasitoïde, musaraignes nées au milieu d’une lasagne…). Pour la punaise, nous avons abandonné la plantation de choux en haute saison, désormais réservés à l’hiver et aux bonnes soupes, limitant ainsi son emprise sur le Jardin. Nous n’utilisons que des macérats d’ail pour limiter sa prolifération sur les radis et la roquette.
Et nous travaillons sur le lâcher-prise … Lorsque l’on plante 50 choux pour l’hiver, on peut en laisser deux aux petites bestioles qui participent aux chaînes trophiques.
Qui profite de ce petit havre naturel ? Depuis quelques temps, les insectes se multiplient gaiment, à la grande joie des oiseaux insectivores ; les grenouilles « croissent », au grand déplaisir des moustiques et nous apercevons, parfois, quelques anneaux de la longue couleuvre avant qu’elle ne disparaisse à nouveau dans quelques creux invisibles. Bon, quelques intrus particulièrement mal élevés profitent des pommes et des fraises… C’est le prix à payer pour bénéficier de la biodiversité.
A ces occupants sans cesse affairés, s’ajoutent de temps en temps les amis, nettement moins à l’œuvre, si ce n’est pour servir le Rosé Glaçons, qui viennent profiter d’un havre naturel au milieu de la ville. Pour être honnête, ils ont aussi été largement mis à contribution pour quelques « chantiers de vieux », comme la construction de l’abri de jardin.
Mais ce n’est pas tout car chaque mois de septembre à juin, que le temps soit radieux, qu’il pleuve ou qu’il vente, une horde de sympathiques stagiaires passionnés vient échanger, s’informer et se former à un Jardinage naturel respectueux de la santé de l’homme et de la nature, dans la cadre des Ateliers de Jardinage urbain organisé par notre association Jardinot.
À part l’interdiction formelle du moindre intrant phytosanitaire, il y a peu de dogmatisme dans le Jardin : toutes les techniques sont bonnes, si elles fonctionnent. Aussi, on trouve des buttes enserrées dans des bacs (pour mieux maîtriser l’arrosage), des bottes de paille plantées de ci de là, des cultures de plein-sol bien sûr, … bref, une variété de modes culturaux, au service d’une biodiversité maximale.
L’ennemi chez nous, c’est le soleil et le vent. Aussi, à l’instar des Jardins Antillais, les nombreux arbres plantés lors de notre arrivée ont une double fonction et sont destinés à protéger les jeunes plantations tendres et humides, aidés de la pergola où courent les vignes. A l’automne, les feuilles de ces caduques tombent et le soleil reprend ses droits, mais un soleil adouci et bas sur l’horizon.
Le chiendent est l’ennemi herbeux de référence, et nous savons que nous n’en viendrons pas à bout. Toute la stratégie consiste donc à donner de l’avance à nos plantations et à planter suffisamment dru pour limiter la sortie des indésirables. Le liseron, lui, aime le sol enrichi de déchets verts et de fumier mis à composter pendant plusieurs mois dans les silos, installés au cœur du Jardin : fumier, déchets de Jardin et feuilles mortes pour le merveilleux terreau de feuilles, destinés aux semis de printemps. Certes le liseron est envahissant, mais tellement plus facile à ôter que le chiendent. Et après tout, il amène une protection sur les sols frappés de soleil.
Bref, un Jardin harmonieux à l’œil, heureux de vivre, et qui nourrit sainement une famille investie… ainsi qu’une foule de bestioles, car Jardiner autrement c’est nourrir la terre plutôt que la plante, faire confiance en la nature plutôt que de vouloir tout maitriser, éplucher des légumes, pas toujours parfaitement calibrés, mais savoureux à souhait. Car parfois biscornue, mais goûteuses à souhait, la nature, et la vie, sont imparfaites mais enthousiasmantes. Heureusement !